Conférence de Geert Hoornaert

 Morosité, Tristesse, douleur d'exister est le thème de l'enseignement de cette session 2025 du Collège Clinique et des trois conférences de l'ACF en CAPA à Lille.

L'argument de Guy Poblome

Le ternaire morosité, tristesse, douleur d’exister – termesque l’on trouve chez Lacan – pourrait s’écrire avec un etc. Il initie une série, et même une gradation, celles de la variété,de la diversité des dépressions. On pourrait ajouter lâchetémorale, mauvaise humeur, ennui, mélancolie, suicide – ce

dernier renvoyant à la question de l’acte qui fait égalementnotre actualité du fait de la parution du Séminaire de Lacan,L’Acte psychanalytique.
Il fut un temps où la dépression tenait le devant de la scène, englobant par ce seul signifiant l’ensemble des phénomènesse rapportant aux troubles de l’humeur. Nous étions tous déprimés et la réponse au moindre petit coup de blues relevait de la chimie, remède miracle. Le ravalement de la souffrance psychique au fonctionnement du cerveau reste aujourd’hui de mise plus que jamais. Exit le sujet de l’inconscient. Quelques phénomènes nouveaux ont surgi, avec leurs coordonnées plus sociologiques. Pensons notamment aux burn-out, bore-out, ou encore brown-out, qui touchent la sphère professionnelle et les décrochages suite à un vidage de la libido et du désir. Pensons aussi, chez les adolescents, à ce qui s’est appelé un certain temps « phobie scolaire »,
phénomène amplifié par la crise du Covid, pour qualifier un débranchement du lien social réduit aux dits réseaux, un repli quasi autistique sur soi, sa chambre, son ordinateur, les jeux vidéo, voire d’autres addictions. Pour eux bien souvent, parler ne sert à rien parce qu’ils « ne voient pas où est le problème ». Et n’oublions pas la déprime de l’époque, liée au sentiment d’impuissance à agir devant la catastrophe climatique, la montée des extrémismes et le retour de la guerre. Comment s’y retrouver ? À faire vibrer les signifiants croisés au cours des quelques lectures faites pour écrire cet argument, il apparaît que ce qui pourra faire boussole pour différencier ces différentes positions de l’être concerne la façon dont se rapportent, ou pas, ou mal, le langage et la jouissance. Soit que langage et jouissance s’accordent, mal, de travers, symptomatiquement mais s’accordent, s’articulent, et la jouissance est en prise avec le discours de l’Autre, avec l’inconscient, le manque-à-être et le désir. C’est alors l’éthique du déchiffrage, le « devoir du bien dire » 1, qui est en jeu. C’est ce qu’offre la parole sous transfert dans une analyse, sur quoi nous misons.Soit qu’il y ait rupture radicale entre la jouissance et
l’aliénation signifiante, « rejet de l’inconscient » 2 dit Lacan. Dans ce cas, le sujet est soumis à l’injonction de rejoindre sans médiation aucune son être de déchet. L’enjeu n’est pas moindre dans ce cas, que ce soit dans une consultation ou en institution de soins : il s’agit de retrouver la voie vers la possibilité même d’une quelconque « envie de dire » 3. Nous irons à la rencontre de cette distinction qui reste essentielle pour nous orienter dans la clinique. Quelques
textes de Freud, « Deuil et mélancolie » ou « Le moi et le ça », les indications de Lacan dans « Les complexes familiaux », « Propos sur la causalité psychique », « Fonction et champ de la parole et du langage », Le Séminaire L’Angoisse, ou plus tard encore dans « Télévision », ainsi que les contributions de Jacques-Alain Miller et d’autres collègues encore, nous seront précieux.

1. Lacan J., « Télévision », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 526.
2. Ibid
3. Deffieux J.-P., La Clinique du présent. Avec Jacques Lacan, Paris, Le Champ
freudien éditeur, 2024, p. 100.

Conférence de Geert Hoornaert