Les filles, les garçons et les autres
Sexe, amour et désir chez les ados
À notre époque où les noces du capitalisme et de la science ont transformé les discours et parachevé le déclin du père dont Freud et Lacan avaient repéré les prémisses, la crise du père est devenue crise du viril puis crise des semblants. Ces semblants que les adolescents sont si prompts à dénoncer sont ceux de leurs parents tandis qu’ils en saisissent d’autres avec tant de facilités. C’est ainsi que la question du genre s’est généralisée, poussant chacun à se dire selon ces nouvelles normes tant du côté de l’être que du côté de la relation à l’autre. Car « c’est sur les adolescents que se font sentir avec le plus d’intensité les effets de l’ordre symbolique en mutation (...) et, parmi ces mutations de l’ordre symbolique, d’abord la principale, à savoir la déchéance du patriarcat1 », indiquait Jacques-Alain Miller en 2017.
Chercher un escabeau sur lequel monter pour se faire beau et un tapis sous lequel cacher l’horreur à peine découverte, du plus obscur de la jouissance mais aussi d’un monde au bord du gouffre, de l’effondrement et du dérèglement climatique. Si chaque génération d’adolescents a ses trouvailles, sa langue, elle a aussi ses objets et celle du moment en a deux : le téléphone et le réseau. Il y a aussi ce qui ne change pas, d’une génération à l’autre : le déferlement pubertaire. La difficulté est de loger dans la langue la nouveauté énigmatique qui surgit dans le corps et de faire face à l’acuité nouvelle avec laquelle ressurgit la différence des sexes. Trouver le point d’où2 apparaître aimable et se faire donner le goût de vivre, comme Freud l’indiquait déjà en son temps3, voilà l’enjeu de cette délicate transition qu’on appelle l’adolescence.
Côté parents, c’est le constat souvent amer de la désertification du territoire familial et de son champ conversationnel par leur progéniture, au sortir de l’enfance. Côté ados, c’est l’appel d’un ailleurs (et son possible ravage), l’autre monde, celui de la bande et des amis. Jamais sans son téléphone et son savoir dans la poche4, moyen de transport ultra-moderne pour sortir tout en restant chez soi, branché sur les petits autres et sur le grand Autre qui n’existe pas. Zone de contact avec l’autre sexe, le réseau qui n’a plus rien de virtuel (tant les premières expériences amoureuses et sexuelles qui s’y produisent font chavirer les coeurs et les corps des jeunes gens qui nous en parlent). Miroir vivant du corps, tout en filtre et selfisé, mis en scène ou en story, en face duquel on pose, la bouche en coeur ou bien en larmes, les bras lacérés.
Laboratoire contemporain des jouissances de demain, on peut regarder l’adolescence comme on regarderait au loin, l’Amérique et ses nouvelles tendances. On peut aussi tâcher de les entendre et de leur parler. C’est à cette rencontre que l’analyste convie celles et ceux qu’il reçoit, les filles, les garçons et les autres, dans son cabinet ou en institution, afin de les aider – pas sans le transfert – à « trouver le lieu et la formule5 ».
En cette journée exceptionnelle, nous aurons le plaisir d’accueillir Ariane Chottin, psychanalyste à Paris et membre de l’ECF. Elle est aussi la directrice de parADOxes, un lieu d’accueil et de consultation pour les 11-25 ans et elle nous fera entendre la délicatesse indispensable à la rencontre avec ces jeunes sujets. Elle donnera une conférence et participera à la discussion de nos deux séquences, lors desquelles des cliniciens d’orientation analytique présenteront des travaux issus de leur pratique ou du champ des arts et de la littérature.
Agathe Sultan
1 Miller, J.-A., « En direction de l’adolescence », , Interpréter l’enfant, collection La petite Girafe, n°3, Navarin, 2015, p. 201.
2 Lacadée P., « L’Eveil et l’exil. Enseignements psychanalytiques de la plus délicate des transitions : l’adolescence », éditions Cécile Défaut, Nantes, 2007.
3 Freud S., « Sur la psychologie du lycéen », in Résultats, idées, problèmes », tome I, PUF, 1984.
4 Miller, J.-A., Ibid.
5 Rimbaud A., in « Vagabonds », Oeuvre-vie, Edition du centenaire établie par Alain Borer, Arlea, 1991, p.349, et cité et repris par Lacadée P., Op. Cit..