Quand le lien social se défait, quelles inventions ?
« L’adolescent et ses trouvailles »- Ariane Chottin
C’est un nouveau visage de l’inquiétante étrangeté qui a surgi au printemps, fragilisant un peu plus le lien social,affectant les rythmes, l’accès aux lieux, les liens, etqui a particulièrement impacté les adolescents.Dans l’après premier confinement, ils sont venus déposer à parADOxes, un par un, la découverte d’une souffrance dénudée que l’hyper- connexion n’avait pu endiguer.
Le lien familial malmené, la fermeture des institutions, l’éloignement des pairs ont suscité une montée d’angoisse, poussant à renouer avec la parole vivante pour reprendre ce qui s’était passé. Pas question de « debriefing » face àce réel qui fait trauma, ni d’interprétations pourvoyeuses de sens,accueillir chacun dans sa reprise. En présence, et pour certains à distance, il s’est agi de ménager à chaque rendez-vous une place à l’impossible à dire pour que se desserre l’angoisse et que puisse se rouvrir le champ des possibles propices aux inventions du sujet.
Nous sommes allées1, pendant trois ans, pour des temps de conversation dans des classes, à la rencontre d’adolescents pour qu’ils nous disent, avec leurs mots, la placeque ces réseauxsociaux occupait pour eux et en quoi la jouissance s’impose comme partenaire.Si c’est à la demande de l’institution et des enseignants inquiets des effets incoercibles de ces nouvelles pratiques que nous sommes intervenues, nous avons misé sur des conversations décalées, qui ont fait accroc, au sens où l’écrit Jacques-Alain Miller2 : « ce qui me guide, me suis-je aperçu, pour faire cours, c'est l'accroc.Il faut, pour que je me mette à ce travail, qu'une déchirure se produise dans le savoir, dans le mien, qu'une déchirure se produise dans ce que j'ai pu acquérir, ici et là, de savoir, et toutce que j'ai pu mettre en forme. Il faut qu'il y ait une déchirure produite par quelque chose qui accroche. C'est la définition de l'accroc. »
Quelle déchirure dans le savoir ? Quelles trouvailles en ont émergé ? Si « le psychanalyste est celui qui sait que le langage, en son fond le plus intime, reste hors sens » comme le disent Jacques Borie et François Ansermet3et si c’est la boussole que l’enseignement de Lacan nous donne, il s’est d’abord agi avec ces collégiens de trouver comment renouer avec la dignité de la parole, et d’extraire peu à peu du brouhaha, des dire faisant contrepoids, dont un sens inaperçu pouvait surgir. Nous nous sommes appuyées aux instruments du maitre scolaire - le tableau- et à la surprise suscitéepourmettre en jeu une rencontre capable de dé-figer l’autre, de le dé-ranger du ronron de la jouissance mortifère, tout en marquant un écart avec le sens préformé des savoirs établis.Se sont alors fait entendre, à bas bruit, avec tact et pudeurles trébuchements de la vie :aimer, apprendre, mourir, choisir.Et, à chaque fois, quelque chose accrochait. Mon intervention s’appuiera aux éclairages de ces deux expériences menées à parADOxes, avec des vignettes cliniques.
1 Sonia Pent directrice adjointe et moi-même.
2 Jacques Alain Miller, le lieu et le lien, cours du 6 décembre 2000
3« miser sur la contingence » in Pertinence de la psychanalyse appliquée, Association du Champ Freudien 2003.