« Emprise et harcèlement » sont deux signifiants contemporains que Fernanda Xavier, psychanalyste à Paris, est venue interroger lors de cette dernière soirée du cycle Lire Freud. Elle nous a proposé de « penser l’emprise comme un lien à l’Autre et le harcèlement comme modalité de ce lien ». Nous suivons alors son hypothèse : « le harcèlement ne prend toute son ampleur que quand il brouille la limite entre le sujet et l’Autre et propulse le sujet vers une aliénation massive à sa position d’objet ». La question de l’intime et de l’intimité semble centrale dans ces problématiques pour lesquelles le cyberharcèlement élargit encore davantage le champ. C’est un point particulier du sujet qui est visé et qui empêche tout repli possible. « Il s’agit d’amener la cible (sujet) au point où elle se voit être vue et ainsi mettre son désir dans le gel et la sidération que cette expérience entraine » (Fernanda Xavier).
Comme pour les autres soirées, se posera la question de l’issue à l’emprise. C’est vers l’introduction d’un point aveugle, que nous oriente Fernanda Xavier, un endroit de la pudeur où quelque chose n’appartient qu’au sujet, existe à l’abri du regard. Telle Aliya, une jeune fille qui témoigne dans un podcast de son expérience (« juste une histoire de nude » sur Spotify).
Agathe Monnot, psychologue en CMPP, a rendu sensible dans son propos, la dimension de l’agressivité et de la haine dans les relations d’emprise, particulièrement à l’adolescence. Elle a choisi d’illustrer ce point par le roman de Robert Musil Les désarrois de l’élève Törless, mais aussi par le film de Damien Chazelle Whiplash , faisant ressortir par quel levier, ces deux garçons se laissent empoisonner. Tous deux vont se trouver intoxiqués par un discours, discours légitimant le Mal au nom du bien chez Törless, discours justifiant l’humiliation au nom de l’atteinte d’un idéal de réussite pour Andrew, personnage de Whiplash.
Christelle Janson
Nous avons accueilli Fernanda Xavier et Agathe Monnot pour cette 3ème soirée sur le thème de l'emprise avec pour titre « ce qui nous harcèle ». Le harcèlement devient aujourd'hui un signifiant de l'époque moderne, alors même que les pulsions agressives ne sont pas une nouveauté, et sont inhérentes à l'homme. Néanmoins,ce que Fernanda Xavier vient soulever comme nouveau, c'est la question de la régulation de ces pulsions dans notre société actuelle, qui répond à une quête de jouissance immédiate et une rapidité de circulation des informations. Cette forme de jouissance est criante sur les réseaux sociaux, mode de communication privilégié de nos adolescents.
Sur les réseaux, c'est toute une vie au fonctionnement et aux investissements bien réels, mais où le corps est absent de la relation et ne peut faire limite. Ainsi, le harcèlement s'y propage, rapidement, envahissant, sans possibilité de se soustraire au regard, sans replis possible, sans espace où, comme le cite Wajcman « le sujet peut se tenir et s'éprouver hors du regard de l'autre » ; sur les réseaux, on ne peut se soustraire au regard : il n'y a plus d'intime.
L'intime serait à la fois la condition pour être sujet séparé de l'Autre, mais également le rempart qui permet de se tenir hors de la « puissance totalitaire de l'Autre ».
Ainsi, pour Lacan, la seule vraie vertu est la pudeur, définit comme « le refoulement de ce qui pourrait être dit de trop, la maîtrise de la parole à travers la censure ». La pudeur serait la seule issue au harcèlement, permettant ainsi au sujet de se soustraire au regard de l’Autre, mais également de poser un voile le préservant de la crudité du monde….
La question du regard et de la pulsion scopique est au cœur du processus de harcèlement, et ce n’est qu’en insinuant un écart entre le sujet lui-même et son image que le cyberharcèlement trouve une issue ; cela permet alors au sujet de se réapproprier son histoire et mettre à distance la question du regard.
Pour illustrer cette question, Agathe Monnot nous propose d’abord une lecture du livre de Robert Fusil, Les désarrois de l‘élève Torless. On y voit un jeune garçon dans un pensionnat aux prises avec la question du harcèlement d’un de ses camarades. Il se fait d’abord observateur passif des sévices infligés à son camarade, jusqu’à devenir le témoin consentant de ces scènes. Son regard, extérieur, devient « un œil qui jouit de ce qu’il voit ». L’auteur vient ici interroger cette question du regard, mais également de la jouissance à faire du mal, inhérente à la nature humaine.
Notre intervenante passe en revue quelques souvenirs de lecture tels que Poil de carotte et Un bon petit Diable, où, là encore est traité la question du harcèlement, mais, où on découvre que chacun ne la traite pas de la même façon ; Fort heureusement, il y a des expériences de vie douloureuses, qui ne laissent cependant pas autant d’emprise à l’autre, et dont le sujet ne garde pas les même traces. Il s’agit là plutôt de maltraitances quotidiennes dont le sujet va trouver à se défendre.
Agathe Monnot termine son exposé par la présentation du film Whisplash, de Damian Chazelle, où, cette fois, la question de l’emprise est abordée du côté de la relation entre un jeune batteur ambitieux et son mentor exigeant, voire tyrannique. Cette relation, d’emblée déséquilibrée et pourtant consentie, évolue vers une situation violente, faite d’humiliations de brimades et d’exigences de réussite. Je cite : « Le maître réduit son élève à néant, s’il ne joue pas selon son désir à lui », signant ici l’anéantissement du sujet.
Ainsi, nos intervenantes nous ont indiquées combien cette question du harcèlement est délicate à traiter, de part la difficulté même du concept, mais également de part les ressources individuelles de chaque sujet. Néanmoins, on perçoit ici combien les réseaux sociaux donnent une autre dimension au phénomène, à la fois en lui accordant plus d’importance, et plus d’emprise, le sujet étant alors assujetti au regard de l’Autre, sans intime, sans refuge possible...
Sandrine Luce