Après-coup "The Lobster"

The Lobster, après-coup de la projection du 12 Juin 2024,

Cinéma l’Univers, Lille

Mort à l’écran, vie dans la salle.



Un monde clos

Le film présenté ce soir-là est une œuvre techniquement virtuose et aboutie. Les plans, le montage, le rythme, la musique, tout est découpé avec précision et on ne peut que saluer le savoir-faire du réalisateur Yorgos Lanthimos, qui est aussi l'auteur du scénario.

Yorgos Lanthimos nous présente un monde clos, constitué de trois pôles.

La ville, où les gens vivent en couple. La clinique, où vont les personnes célibataires : elles y sont rééduquées et sommées de s’y trouver un partenaire en un temps limité. La forêt, où vivent les Solitaires, et où il est interdit d’être en couple, sous peine de tortures ou de mort.

La ville et la clinique composent le revers d'une pièce dont l’avers est la forêt.
En dehors du programme instituant le couple comme obligatoire, les humains sont des bêtes : ils sont transformés en animaux après le temps qui leur est imparti à la clinique pour se trouver un partenaire, ou bien ils sont traqués dans la forêt par les patients-prisonniers de ladite clinique (chaque capture d’un Solitaire rallonge d’un jour le sursis pour le patient-prisonnier ; chaque Solitaire capturé est rééduqué dans la clinique comme les autres célibataires).

La définition de l’amour, dans le film, est toute aussi close que l’est l’ensemble de l’univers qui y est dépeint : un couple doit se former à partir d’un trait commun, observable, objectivable.

Au milieu de tout cela, le personnage principal cherche à éviter le destin funeste qui l’attend s’il ne se met pas en couple - ce qu'il peine à réaliser. De ce fait, il feint d'y parvenir quand il est à la clinique. Et quand il réussit à s’en échapper, pour arriver parmi les Solitaires, il feint encore, cette-fois-ci son célibat, pour dissimuler sa relation avec une autre Solitaire. Ces deux-là se sont mis en couple à partir d’un point commun - en l’occurrence, simplement physiologique - selon la règle du couple, donc, qui régit ce monde alors même qu’ils sont censés s’en tenir à l’écart. Cette feinte du personnage est une tromperie située dans le champ de l’imaginaire qui n'ouvre pas à aucun au-delà. Et ce même personnage reste entièrement soumis au programme : il veut juste éviter d’être transformé en animal, ou de mourir.

De même, les choses qui pourraient apparaître comme des échappatoires n’en ont que les apparences, comme par exemple : les destinations de vacances évoquées qui ne sont que des clichés, comme des cartes postales sans texte ; le journal intime, saisi pour le compte de la cheffe féroce des Solitaires, qui n’est qu’une suite de faits énumérés ; ou encore, le langage gestuel, utilisé par le personnage principal avec la femme avec qui il est secrètement en couple au milieu des Solitaires, qui échappe seulement à la lecture de ces derniers, mais sans rien dire d’autre que le programme auquel, encore une fois, ils se soumettent.

La dernière scène du film est un moment où le personnage principal est sur le point de faire un choix : mais là aussi, aucune des deux options qui s’offrent à lui n'ouvrirait à un ailleurs.

La mort

Comme le pointait Dominique Holvoet à l’issue de la projection, la pulsion de mort est à l’œuvre et se déchaîne à mesure que se déroule le scénario inéluctable du film. La férocité surmoïque s’y fait toujours plus étouffante pour les personnages. Et c’est ainsi que des actes visant à tuer son prochain ou soi-même s'accumulent dans une accélération : pour les protagonistes, pas d’échappatoire, exceptée une mort réelle.

La vie

Comme restée hors champ, tout le long du film, la surprise est absente. L’ambiance de ce long métrage marque durablement par sa lourdeur, et il est difficile d’y trouver du nouveau, de l’ailleurs, du désir. Difficile d'y trouver quelque chose qui échappe au programme du couple, comme au contre-programme des Solitaires.

À l'issue de cette projection pourtant, la recherche d’un plus-de-vie est venue de la salle. En effet, des interventions désirantes se sont manifestées pour tenter de trouver quelque chose de singulier, quelque chose d’une vérité subjective, d’un mouvement de recherche, ou encore de l’amour. Chaque détail fut passé au peigne fin. Dominique Holvoet a d’ailleurs relevé cela : qu’il fallait “vraiment se creuser la tête pour trouver quelque chose de désirant là-dedans”.

La voici, la surprise, pour moi. Plutôt que dans le propos du film, dans une dénonciation de la soumission, ou dans la critique du geste du réalisateur, je retiens cet effort pour trouver des traces de désir, des élans de vie par-delà la survie mise en scène pendant près de deux heures. Cette discussion, de la salle avec le psychanalyste, s'avéra être un antidote vivifiant.


Lionel Vallat

Après-coup "The Lobster"