Après-coup "Incroyable mais vrai" de Quentin Dupieux

Incroyable, mais vrai : quand tout le monde est fou.
Quelques points pour la discussion du 15 janvier à Reims.
Par Catherine Stef
 
Quentin Dupieux donne à voir les débordements auxquels s’exposent des individus livrés, par le hasard d’une rencontre, à la seule volonté de jouir. A ce jeu, tout le monde devient fou :

-       L’un de ne plus vivre que par et pour sa "bite électronique qui fonctionne 24h/24".
-       L’autre de ne plus pouvoir s’arrêter de vouloir rajeunir de 3 jours plusieurs fois par jour, pour faire une carrière de mannequin, fantasme d'immortalité de jeunesse et de virilité éternelles réalisé. 

Tout le monde est fou*, c’est-à-dire délirant. L’on voit ici que la volonté de maîtriser le temps, ici muée en certitude, est un délire comme un autre.
La contingence qui les amène à cette situation est un petit glissement de temps sur mars* que Quentin Dupieux introduit dans l’histoire.  Ce petit accroc qu’il donne à une histoire banale, la transforme en une dystopie. La distorsion du temps, révèle et accentue les effets du malentendu ordinaire entre les sexes. 
Le temps n’est plus ni chronologique, ni logique, et révèle d’autant plus sa vraie valeur de réel, non maîtrisable. Les effets secondaires, sous la forme de troubles mentaux, vont surgir, de sorte que la vérité de chacun des personnages va se trouver disjointe de la réalité qui l’entoure. 
Le réel perfore la réalité comme dans la psychose et comme dans le surréalisme, et d’ailleurs Quentin Dupieux rend hommage à Bunuel, à la fin du film, avec les fourmis qui sortent de la main, comme dans Le chien andalou, de 1929.

Dans le Chien Andalou aussi, une succession de scènes n’ont pour seuls liens logiques que quelques personnages et le décor d'un intérieur parisien. Dans l'ensemble, il s'agit des relations violentes et difficiles entre un homme et une femme dans un appartement. Des objets et des personnages inattendus apparaissent et disparaissent, laissant le spectateur libre de leur attribuer une part de réalité, d'imagination, ou de souvenir. Le récit est disloqué par des changements subits de lieux,) et par des sauts temporels de plusieurs années en avant ou en arrière. Le film se conclut sur une plage où les deux personnages principaux, l'homme et la femme, paraissent former un couple heureux, avant de se retrouver à la fois ensablés vivants et la proie des insectes.
L'étrangeté de l'ensemble est délibérément onirique, selon le principe surréaliste défini par André Breton dans son Manifeste du surréalisme. Ainsi, dans Un chien andalou, rêve et réalité sont deux registres complémentaires : « Je crois à la résolution future de ces deux états, en apparence si contradictoires, que sont le rêve et la réalité, en une sorte de réalité absolue, la surréalité […] c'est à sa conquête que je vais. » Mariage funeste du rêve et de la réalité.

De ce point de vue, Incroyable mais vrai traite de la folie du pousse-à-jouir féroce et incessant prôné par le libéralisme décomplexé.

-       La croyance : on a peur que vous nous preniez pour des fous : ils savent bien que quelque chose déraille, et que cette histoire littéralement va les sortir des coordonnées symboliques communes. 

-        La vérité a structure de fiction, la croyance quand elle se mue en certitude, peut ébranler les cadres symboliques usuels. Le sujet de l’ICS ne connait ni le temps ni la contradiction. S’il épouse son objet de jouissance sans retenue, il risque de se séparer de l’ordre symbolique.

-       Couple-sexualité : des objets technologiques, qu’ils soient de la science, ou de la science-fiction, ça revient au même, produisent un court-circuit de la demande et du désir : le partenaire s’efface.
Le cinéaste : use des flashbacks, brouille le spectateur pris lui aussi dans le tourbillon, et construit une fable qui réalise cette perte de la réalité. 

-       Le clou-le trou, dans l’argument de la discussion, les organisateurs de la soirée évoquent cette structure de la bande de Moebius dont Lacan s’est servi pour montrer que l’angoisse chemine sur un seul bord : du dehors au-dedans, du haut vers le bas, de l’avant vers l’après. Qui est le bord d’un trou dans le symbolique : trou dans le sens, trou dans l’image, vertige tourbillon et folie. Quentin Dupieux se sert de cette image du trou, qui est le clou du spectacle : là où tout chavire. 

-       Le tourne disque muet, comme si en effet, plus aucun son, aucun sens aucun mot aucune musique ne pouvaient rendre compte de ce qui se joue. 

-       Le temps de l’interprétation : couper le son, le défilement muet des évènements privés de sens, dont le personnage d’Alain Chabat est le spectateur rendu à l’impuissance, comme nous spectateurs. 

-       Le temps du doute : Gérard ne peut pas prononcer la phrase, Alain inquiet demande, mais alors si c’est automatique, c’est quoi être un homme ? Maryse, elle aussi renonce à expliquer : on en reparlera quand j’aurai 20 ans.. Finalement ça pourrait bien être dangereux pour l’équilibre mental ? 

-       Le tourbillon temporel : la boucle se referme et la répétition tourne en rondla voiture flambe, le e-sexe flambe, Maryse délire et voit des fourmis sortir de sa main, retour dans le réel de son angoisse de vieillissement de pourrissement.

·       Les fourmis ,  récurrentes dans l’œuvre de Dali, symbolisent la putréfactionLe fait de vivre sans se poser de question sur la vie, le fait d'agir sans se demander pourquoi cette action, tombée dans la routine, mène immanquablement à la putréfaction. Dans le film de Bunuel, l'homme, en regardant sa main, peut-être trop consacrée à l'onanisme, se rend compte de cette putréfaction et cette prise de conscience déclenche un besoin de donner une impulsion à sa vie. Dans le film de Quentin Dupieux, les fourmis apparaissent aussi comme l’évolution inévitable du temps qui use et qui pourrit le cœur du vivant. 

-       Alain reste, stoïque avec son chien pas andalou, comme un morceau de réalité encadré par la caméra dans un plan fixe..
 
 

·       Titre d’un roman de Philip K. Dick

Après-coup "Incroyable mais vrai" de Quentin Dupieux