L'inconscient, un autre soi ?

AVANT-GOUT….
 
            Si un mot évoque la psychanalyse, c'est bien l'inconscient. « Freud n'a pas trouvé mieux » dira Lacan, moyennant quoi d'être négatif on y a supposé « n’importe quoi au monde, sans compter le reste 1»
            Pour Lacan, « l'inconscient, ça parle, ce qui le fait dépendre du langage 2». Et c'est à partir de ce prisme qu'il va étoffer la découverte freudienne avec des avancées décisives. Cela commence en 53 où le symbolique régit par les lois du langage est l'outil d'une archéologie de surface qui « rétablit le sens » resté jusqu'alors inaperçu. « L'inconscient est [alors] ce chapitre de mon histoire marqué par un blanc ou occupé par un mensonge : c'est le chapitre censuré. La vérité peut être retrouvée ailleurs 3 » De ce point de vue, la structure symbolique est un véritable lieu de création signifiante dont la clinique rend compte chaque jour : l'interprétation productrice de sens y plonge ses racines et l'objet a s'y inscrit à partir de la répétition.
            Mais cet inconscient qui interprète à travers ses productions ne cesse de faire couler, suite aux interventions de l'analyste, un flot ininterrompu de sens. Comment dès lors y mettre un terme ? Lacan fera valoir une autre interprétation, « son envers 4» dira J.-A. Miller et donc un inconscient repensé, qui au lieu de « nourrir » le sens doit au contraire « l'affamer »5 : la scansion vise le hors-sens et met à nu un signifiant qui veut jouir : « Là où ça parle, ça jouit »6 avancera Lacan en 72 et inventera lalangue dans cette optique. La parole se mue en l'apparole 7 soit le monologue d'un parlêtre coupé de toute communication, coupé de l'Autre, et réduit à n'être qu'un appareil producteur d'une substance jouissante, hétéro et autistique, comme autant de marques du réel d'un corps étranger au sujet lui-même : « le mystère d'un corps parlant » est homologue au « mystère de l’inconscient.» 8
            De là comment l'interprétation « à l'envers » peut contourner les apories du dialogue sans les éluder ? Autrement dit, comment pointer le réel de cette jouissance autistique, comment en tracer la frontière opaque ? À l'illimité de l'interprétation signifiante répond sans l'opposer la coupure d'une séance devenue a-sémantique qui fait apparaître – à partir de « la voie de la perplexité » 9 qu'induisent des signifiants esseulés –, l'opacité d'un réel intraitable, intransposable d'un cas à l'autre. Lacan en donnera un aperçu en 76 : « Quand l’esp d’un laps, soit puisque je n’écris qu’en français : l’espace d’un lapsus, n’a plus aucune portée de sens (ou interprétation), alors seulement on est sûr qu’on est dans l’inconscient. On le sait, soi. » 10
 
            Aussi, samedi 8 février, nous vous donnons rendez-vous à l’Hôpital Saint Vincent de Paul, à Lille, où nous aurons le plaisir de recevoir Jérôme Lecaux, psychiatre et psychanalyste à Lyon, membre de l’ECF, qui à partir d'une question : « L'inconscient, un autre soi ? » viendra ouvrir notre cycle de conférences : L'inconscient créateur.
 
Jean-François Reix

1  Lacan J., « Télévision » (1973), Autres Écrits, Seuil, 2001, p. 511.
2     Ibid.
3    Lacan J., « Fonction et champ de la parole et du langage » (1953), Écrits, Seuil, 1966, p. 259.
4     Miller, J.-A., « L'interprétation à l'envers » (1996), La cause freudienne, n° 32 (Version CD), p. 7.
5     Ibid.
6    Lacan J., Le Séminaire, Livre xx, Encore (1972-73), texte établi par J.-A. Miller, Seuil, 1975, p. 104.
7    Lacan J.,  « Préface à une thèse » (1969), Autres Écrits, Seuil, 2001, p. 398, et Miller J.-A.,  « Le monologue de l'apparole » (1996), La cause freudienne, n° 34, Diffusion Navarin Seuil.
8     Lacan J., Le Séminaire, Livre xx, Encore (1972-73), op. cit., p. 118.
9     Miller J.-A.,  « L'interprétation à l'envers » (1996), op. cit., p. 8.
10    Lacan J., «Préface à l'édition anglaise du Séminaire XI » (1976), Autres Écrits, Seuil, 2001, p. 571.